Entrepreneuriat

Faut-il ne pas mettre de culotte pour réussir ?

Nous sommes en 2004. C’est le printemps. Les déjeuners en terrasse fleurissent. Il aime être vu. Pas trop quand même. « Allons au Pershing Hall » me propose-t-il la veille au téléphone.  Ce restaurant du huitième arrondissement de Paris est une adresse où se retrouvent pêle-mêle hommes d’affaires flamboyants, dealers séducteurs et jeunes demoiselles mi-puputes mi-étudiantes. Je ne le sais pas. C’est ma première fois ici. Il n’est pas arrivé. On m’installe. La table réservée à son nom occupe la place du roi. Elle est au coeur de toutes les attentions. Tout autour coule un mur végétal. Les autres tables nous encerclent. Le plafond est vraiment haut. J’ai le vertige. Je suis impressionnée.  Rouge. Elle est rouge ma robe. Et légère. On ne peut que me voir. Pour me donner une contenance je regarde la carte. Diantre ! Dix euros le coca. Je ne commande rien. Je l’attends. Sagement. Au milieu de l’arène. Je ne le sais pas encore. Un combat va avoir lieu. Ha ! Je le vois. Je lui souris. Il me fait signe. Il s’avance. La tragi-comédie peut commencer ! Levée de rideau.

Adulée mais pas encore riche

J’ai vingt quatre ans. Je suis fraiche. J’ai des idées plein la tête. La faim me tenaille. Ma soif de réussite est insatiable.  Je viens de lancer mon magazine. A ma soirée d’inauguration, tout Paris se dispute l’entrée. TV5 Monde m’interviewe. Je passe au JT. On me demande mon secret pour être en même temps jeune. Jolie. Talentueuse. Des acteurs en devenir cherchent ma compagnie. J’ai de nouveaux amis. Ils s’appellent Charles, Henry, Anne. De jolis garçons parfois de belles dames m’invitent à dîner. D’autres veulent travailler avec moi. Dans ce tourbillon de faux semblant j’ai continué à tourner. A m’enivrer. Ma tête. Mon melon explose.
Pendant ce temps, mon magazine ne se vend pas. Je ne comprends pas. Tout le monde me dit qu’il est avant-gardiste. J’ai réussi à créer un pont entre deux mondes qui ne se croisent pas. Le luxe et l’urbain. Les sujets sont impertinents. J’ai la vision il parait. Et puis, le Publicis Drugstore l’a mis à l’honneur. Mon magazine habille les vitrines de son kiosque durant une semaine. Je ne comprends pas. Pourquoi il ne se vend pas ?

Les amis de mes amis sont-ils mes amis ?

Un de mes nouveaux amis me conseille de rencontrer Monsieur-big-agence-de-communication-de-Paris. Lui, il sait. Forcement. C’est Monsieur trente années d’expériences -au moins- dans la com. Son agence raffle tous les prix. Aucune marque ne lui résiste. Il claque des doigts pour faire décoller n’importe quel produit. Il sait. Je l’appelle. Il va m’aider. Il veut bien me rencontrer. Son temps est précieux. Mais il a envie de me voir. Trop sympa ! Je le sais. Rien ne me résiste. Pas même Monsieur-Big-Agence-de-communication-de-Paris.

Nous y voilà. Face à face. Je lui donne cinquante ans- au moins. J’en ai deux fois moins. C’est un vieux. Sage ? Ses cheveux sont poivre et sel. Il porte un costard sombre sans cravate. Une chemise cintrée sur une bedaine naissante. Sa Rolex scintille de mille feux.

Sans culotte, cela va de soit.

– « Alors jeune fille, racontez moi. Que me voulez-vous ?»

– « Et bien. C’est très simple. J’ai créé ce beau magazine. Regardez, dos carré-collé. Maquette épurée. Univers léché. Un choix certain pour la provocation. Tenez … voyez, mes news ne s’appellent pas news mais partouze d’idées… »

– «  Pardon ? Mais mon petit chat, vous ne pouvez pas donner ce genre de titre à une rubrique dans votre magazine ? »

– «  Et pourquoi donc? »

– «  Parce qu’aucun annonceur ne vous donnera un centime pour associer son nom à un magazine de cul… »

– « Ce n’est absolument pas un magazine de cul. Alors le concept c’est … »

– « Tut … Tut … Un verre de rouge pour accompagner votre viande ? »

– « Non. Je ne bois pas. Donc je vous disais … »

-« Chuuut… Tu m’excites. »

-« Savez-vous m’expliquer pourquoi mon magazine ne se vend pas ? – Meuf dans le déni total, qui fait semblant de ne pas entendre ce que Monsieur Big vient de dire.

-«  Je vais te dire ce que tu dois faire pour faire décoller les ventes de ton magazine. »

-«  Oui. Je bois vos paroles. Allez-y. Je vous écoute. »

-«  Tu vas rentrer chez toi. Tu vas prendre un bon bain chaud. Te parfumer. Te maquiller comme une salope. Mettre une robe échancrée. Courte. Sans culotte cela va de soit. Et tu vas me retrouver aux Chandelles (club échangiste parisien et élitiste) à 20:00. Abracadabraaaa après notre rencontre de ce soir, les ventes de ton magazine décolleront.»

Ma mère, fallait pas l’a chercher !

Pause dans le récit. Rewind.

Je vous ai raconté la fois où j’ai cru que ma mère avait tué un mec dans un bus ?

J’étais au collège. Dans les douze, treize ans. On m’appelait « calculette » (ou miss acné aiguë si vous préférez). On vit à Clichy Sous Bois. Ville enclavée. Pour aller à Paris c’est la galère. Il faut prendre trois bus pour arriver dans le nord de la capitale. Pour ajouter du piment à l’affaire, ils sont bondés à n’importe quelle heure. La plaie !

Ce jour là, il fait chaud. On étouffe. On attend ce fichu bus qui n’arrive pas. Ma mère est déjà vénère. Elle sue. Trop de monde à l’arrêt. Ça parle fort. Des enfants pleurent. Des ados chantent à se damner la glotte. Les Walkman se passent de mains en mains. Elle est grave vénère. Le bus arrive. Enfin. On monte. Impossible de respirer. Les sardines serrées, c’est nous.  Environ dix minutes plus tard, j’entends ma daronne qui souffle. Un truc l’agace. Re-souffle. Regard derrière elle. Et un autre grand soupir. Elle se baisse. Elle est très sérieusement contrariée. Que cherche-t-elle ? Sa chaussure à talon ?

Oh my god …. Dans un accès de rage inouïe elle frappe avec le talon de sa chaussure la tempe gauche d’un mec juste derrière elle. Du sang gicle. Le monsieur tombe de tout son poids le pantalon baissé. Le zizi à l’air. Les yeux gorgés de rouge. J’entends ma mère hennir : « T’as pas honte gros cochon ? Je vais te saigner, moi ! ». Elle lui fou des coups dans l’entrejambe. C’est la panique. Tout le monde crie maintenant. Le chauffeur du bus coupe le moteur. Des gens essaient de la raisonner. Rien n’y fait. Elle a le mort !  « Mwen pral touye ou (Je vais te tuer) ». Waouh ! C’est chaud pour le gars. Elle l’enchaine en créole. Il essaie de cacher son machin. On appelle la police. Tout le monde descend. Ca commence à se calmer. Et moi je ne dis rien. Je constate juste qu’un type a failli perdre sa teub dans un bus.

Cette scène va me marquer à vie.

Les porcs portent aussi des Rolex

Du coup quand Monsieur-Big-Agence-Communication-de-Paris me raconte ses balivernes je regarde mes pieds. Je n’ai pas d’escarpins. Ce jour là, je suis à plat. Sa petite gueule de gros cochon méritait pourtant une révision. Je me lève. Digne ( crois-je dans ma tête). Pas un mot. Je me casse !

Je ne sais toujours pas pourquoi mon magazine ne se vend pas. Désormais je sais seulement que les porcs peuvent porter de belles montres. Bientôt je vais découvrir qu’ils peuvent revêtir bien d’autres formes.

Tombée de rideau.

Pour lire l’episode précédent merci de cliquer ici

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19 Commentaires

  • Répondre
    Une fan absolue
    24 mars 2019 à 20:10

    Quel talent ! C’est passionnant mais trop court. La partie avec ta mère est magistrale. A quand la suite ?

    • Répondre
      Rose
      28 mars 2019 à 07:41

      Salut fan absolu,
      La suite, je ne sais pas. Dès que j’ai une fenêtre de tir. Merci pour ton compliment. C’est sympa 🙂

  • Répondre
    Jess
    24 mars 2019 à 21:30

    J’ai tellement ri avec l’histoire de y’a mère dans le bus lol
    Je m’en remets pas. Tu racontes trop bien. La suite vite

    • Répondre
      Rose
      28 mars 2019 à 07:40

      Ha ha ha ! Même moi je rigole encore quand j’y repense 😂

  • Répondre
    Caroline Dru
    25 mars 2019 à 10:19

    Coucou,
    J’ai découvert ton blog grâce à ton instagram. j’ai tout lu. Tout dévoré. T’écris vraiment trop bien. Bravo !

    • Répondre
      Rose
      28 mars 2019 à 07:39

      Hé hé Merci Caroline. Bienvenue 🙂

  • Répondre
    Samira
    27 mars 2019 à 20:36

    Moi j’avais déjà entendu cette histoire il ya des années.
    Ta maman est un précurseur du « éclate ton porc! »

    • Répondre
      Rose
      28 mars 2019 à 07:39

      Je ne me souviens plus de l’avoir raconté … C’etait tout de suite après , non ? Je devais être encore dans l’euphorie lol
      Une ouf !
      Bisous Samira

  • Répondre
    Marie Masson
    31 mars 2019 à 21:23

    T’es obligée de donner le nom du type lol

    • Répondre
      Rose
      1 avril 2019 à 15:21

      Ha Ha Ha. Sorry mais c’est impossible.

  • Répondre
    Erica
    31 mars 2019 à 21:24

    Salut, sache que je serai la première à t’acheter ton livre si tu le sors un jour. Bravo pour cette plume.

    • Répondre
      Rose
      1 avril 2019 à 15:21

      Salut. Sache que ton message me va droit au coeur 🙂

  • Répondre
    RNG
    1 avril 2019 à 15:20

    Bonjour Rosemonde,
    Qui aurait cru que tu deviendrais une romancière MDR
    Franchement chapeau.
    Rodrigue.

    • Répondre
      Rose
      1 avril 2019 à 15:22

      Ha ha ha ! Pourquoi tu dis ça ? J’étais pourtant pas timide à l’école. Bises

  • Répondre
    Alima
    5 avril 2019 à 07:49

    J’adore ! Ecris un livre 🙂

    • Répondre
      Rose
      5 avril 2019 à 07:56

      Merci. tu t’achèterais ? 🙂

  • Répondre
    Le jour où je me suis faite bolosser par Christophe Rocancourt - wondeRose
    7 avril 2019 à 11:36

    […] de cliquer ici pour lire le précédent […]

  • Répondre
    Mes quatre règles absolues pour réussir son personal branding à l’ère du digital - wondeRose
    29 juin 2020 à 17:13

    […] Élysées, comme le magazine du trimestre ! Lorsque j’ai organisé une fête pour son lancement, une queue d’une centaine de personnes se formait devant le Carmen, un ancien hôtel particulier qui fut la dernière demeure du […]

  • Répondre
    Mes quatre règles absolues pour réussir son personal branding à l’ère du digital - CPASDELACOM
    29 octobre 2020 à 12:48

    […] comme le magazine du trimestre ! Lorsque j’ai organisé une fête pour son lancement, une queue d’une centaine de personnes se formait devant le Carmen, un ancien hôtel particulier qui fut la dernière demeure du […]

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