L’affaire des viols de Mazan ne nous raconte pas seulement le calvaire de Gisèle Pélicot, ni même l’histoire d’une société réticente à condamner le pouvoir qu’exerce le patriarcat sur le corps des femmes et des plus vulnérables. Non, il ne s’agit pas de cela. Ce procès révèle une vérité encore plus déconcertante : le Violeur n’existe pas
Comme Dieu, il existe mais personne ne l’a jamais vu.
Personne n’a jamais croisé le chemin du violeur. Les statistiques affirment pourtant que chacun d’entre nous a déjà rencontré au moins une fois dans sa vie un violeur. Mais qui parmi nous a déjà partagé un café avec lui ? Un ami vous a-t-il déjà avoué avoir commis un viol ? Le violeur demeure une figure insaisissable. Comme Dieu, il existe mais personne ne l’a jamais vu. Pourtant la radio, la télévision, les journaux et autres récits autobiographiques nous exposent sans détour leurs actes et cela est encore plus vrai depuis #MeToo.
Partout et nul part
Tenez… au hasard, cette année France Culture a atteint des records avec près de 300 000 écoutes quotidiennes avec son émission La série documentaire (LSD) avec des sujets sur L’inceste (juin 2024) ou encore sur les violences sexuelles, avec Un crime de possession (avril 2024). Sur le petit écran, 20 à 30 documentaires par an traitent directement ou indirectement des violences sexuelles. Parmi eux, l’édifiant Viol, défi de justice (mars 2024) de Marie Bonhommet, tandis que Le temps des surettes est fini (mars 2024) de Barbara Olivier-Zandronis explore les violences vécues par des Afro-descendantes. Il est question de domination, de précarité et des viols subis dans leur enfance. Ces documentaires, diffusés sur France Télévision, ont attiré un large public et renforcent les conclusions de l’INA. En tant que gardien du patrimoine audiovisuel français, l’INA a publié le 3 octobre dernier une étude révélant
que les thèmes liés aux violences sexuelles ont augmenté de 17 % à la télévision française entre 2019 et 2024. Du reste, la presse écrite en est l’étendard. Selon la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) les violences sexuelles enregistrées en 2022 ont augmenté de 20 %, forçant ainsi les rédactions comme Le Monde, Liberation ou encore Mediapart à y consacrer plus de place et d’analyse.
Les preuves ne servent à rien
Et puis voici qu’avec l’affaire Mazan le monde voit surgir sur grand écran, dans un tribunal, le visage du Violeur. Des centaines de vidéos, consignées méthodiquement par M. Pelicot, donnent à regarder les viols qu’il a orchestrés sur son ex-femme tandis qu’elle dormait après l’avoir drogué. Enfin, des images, des preuves ! Pourtant, même face à de telles évidences, le Violeur ne semble jamais apparaître clairement. Un accusé, infirmier-anesthésiste de profession, jurera même avoir pensé que la victime était morte. Impossible d’avoir son consentement. Il n’est donc pas violeur. Même ici, jamais d’une seule voix, notre société s’est levée pour dire oui, cette personne est un violeur.
Pourquoi même le violeur ne sait pas qu’il est violeur ?
Alors qu’est ce qui se joue ? Pourquoi une telle dissonance ? Qu’est-ce qui fait que le violeur lui-même ne se voit pas comme tel. Mon violeur, celui de mes 11 ans, ne savait pas qu’il était un violeur. Trente ans après, nos chemins se sont à nouveau croisés dans un commissariat. Dans une pièce exiguë qui puait la naphtaline, le tabac froid et la faute du voyou de seconde zone, n’ayant pas le droit de m’adresser la parole, il s’est tourné vers l’inspecteur de police et d’une voix calme, réfléchie mais indignée, il l’a interrogé ; « Mais sais-t-elle ce qu’est un violeur ? ».
D’où vient cette incapacité collective à reconnaître le violeur ? D’abord, il faut regarder du côté de la littérature scientifique. Il y’a une volonté d’écraser le sujet violé, d’assouvir un pouvoir de domination et d’appartenance. La victime devient un objet qui peut être utilisé lorsque l’envie se faire ressentir. C’est disponible, c’est gratuit, ç’est malléable et ça ne parle pas – Le Berceau des dominations – Anthropologie de l’inceste – Dorothée Dussy. C’est comme un meurtre sans cadavre.
Les intellectuels, taisez-vous !
Ensuite, je pense que des intellectuels, à l’instar de Mme Caroline Fourest Le vertige Me too – des personnalités publiques comme Mme Rachel Khan ou encore des philosophes comme M. Alain Finkielkraut ne devraient pas réclamer de la nuance quant à la réception de la parole des victimes – C’est une faute morale. En tentant de se démarquer, elles contribuent à faire perdurer l’invisibilité du Violeur et le conforte à ne pas se reconnaître comme tel car voyez-vous, il y’a viol et viol. Il y’a agresseur et agresseur. Il y’a la parole d’une victime et il il y’a la parole d’une victime. Ces personnalités publiques peuvent-elles dresser une liste de nuances ? Si oui, combien ? 59 nuances ?
Rappelons que la parole de la victime, n’a-t-elle hélas jamais le luxe d’avoir de la nuance. – La victime a changé de version. La victime ment. La victime a continué de fréquenter son agresseur mais elle nous dit qu’elle ne sait pas pourquoi … – En tant que victime, si jamais votre version des faits change d’une virgule, il y’a anguille sous roche. Fort heureusement, d’aucun s’accorderont à dire qu’il est essentiel d’encourager les voix des victimes. Le chemin de leur parole est si tortueux pour se faire entendre que nous devrions tous saluer son périple d’une même voix. Sinon, la chute est toujours vertigineuse.
Restons vigilants !
A propos de l’auteur
Rosemonde PIERRE-LOUIS est une spécialiste du marketing d’influence.
Elle dirige une agence de communication. Elle publie en 2021, Je ne suis
pas ta mère, édition RPL, un roman autobiographique dans lequel elle
dénonce les nombreux viols qu’elle a subi enfant. Depuis, elle prend la
parole auprès d’associations, politiques et victimes pour sensibiliser
l’opinion sur l’importance de libérer la parole.
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