Mood

Michel Sardou, Stéphane Plaza et l’humanité sont sur un bateau

Des femmes et des hommes

Emmanuelle Béart narre dans un film édifiant “Un silence si bruyant” l’inceste qu’elle a subi à l’âge de 11 ans, mêlant sa parole à celle de quatre autres victimes dont l’humoriste Norma. Stéphane Plaza l’animateur fétiche de M6 est accusé par trois de ses ex-compagnes pour humiliations, menaces, violences verbales et, pour deux d’entre elles, physiques. 

Neige Sinno autopsie l’indicible à savoir les viols incestueux dont elle a été frappée par son beau-père entre l’âge de 7 et 14 ans dans Triste Tigre. Un récit brut et dérangeant où la nausée jaillit à chaque page. 

Dans une lettre nerveuse Adèle Haenel radicalise et politise son discours contre l’impunité qui sévit dans le monde du cinéma envers ses agresseurs sexuels. Sa consoeur, Vahina Giocante, raconte dans un post publié sur Instagram les nombreux messages de haine qu’elle a reçu depuis qu’elle a affiché son soutien à cette dernière. Elle précise qu’elle n’a jamais fait de bruit et avoir été toujours respectueuse envers chacun même lorsqu’elle poursuivait son père pour inceste.

Dans un roman autobiographique, près de 40 ans plus tard, je raconte moi aussi l’intime. La première fois que j’ai été violée, j’avais 5 ans. La fois d’après, 6 ans. Une autre fois, j’ai eu mes règles quelques jours plus tard. J’avais 12 ans. La quatrième fois…  Je ne continue pas l’exercice. Vous avez compris.

Neige Sinno – Librairie Mollat

Mais taisons-nous ! 

Qu’est ce qui nous lie? J’ose enfoncer une porte ouverte. Nous sommes d’abord, femmes. Ensuite, chacune à notre manière, raconte le mal qu’exerce la société patriarcale soit sur nous, soit sur l’enfant que nous avons été.

Et puis, nous sommes unies par ce que le patriarcat fait dire de nous; des rancunières qui ressassent le passé. En déchirant le silence, nous biaisons la justesse et la clairvoyance de la justice. 

En effet, pourquoi piétiner la présomption d’innocence ? Pourquoi ne parler que maintenant ?  Sommes-nous à la recherche de la célébrité ? D’argent ? Pourquoi n’oublions nous pas ?  Y repenser, n’est-ce pas revivre le film ?

D’illustres inconnus de Twitter jusqu’à Michel Onfroy, nous suggèrent d’avancer en faisant table rase du passé. Sur un plateau de télévision, Yann Arthus-Bertrand toute moustache frétillante demande à la société de pardonner et d’oublier les accusations de viols et d’agression sexuels dont Nicolas Hulot et Patrick Poivre d’Arvor ont été frappés ces dernières années.

Et comme pour conjurer ses propos, Michel Sardou enfonce le clou sur BFM TV à une heure de grande écoute. Il confesser détester le féminisme et par ricochet le wokisme …Néanmoins, il nous encourage  à défendre nos droits (Merci Michel) mais de ne pas trop en faire. Les hommes ont besoin d’être aimés !

En réalité, qu’importe la posture dès lors que tu nais fille, tu as perdu. Toutes les femmes nommées ci-dessus ont toutes été « punies » pour avoir parlé, pour avoir brisé cette règle du non-dit qui vient rompre le lien social. Elles ont été moquées, placardées, diminuées, rabaissées ou tout simplement ignorées. Pour ma part, des clients m’ont tourné le dos quand d’autres se sont inquiétés du temps que je gaspillais sur les plateaux de télévision à relater mes histoires de viols; temps que j’aurais pu mettre à profit pour mieux vendre leur rouge à lèvres à la génération Z.

Michel Onfray et la question de la résilience

Le silence tue

Hélas, j’ai une mauvaise nouvelle pour ces personnes. La résilience où l’art de rebondir à tout âge, c’est ok;  néanmoins pour ce faire, il faut dire encore et encore le mal qui nous ronge pour déconstruire, comprendre pour prévenir pour finalement faire société. 

Évidemment que raconter le sordide c’est la nausée, évidemment que c’est insupportable de lire qu’un bon père de famille sodomise sa fille tous les soirs pour l’aider à s’endormir, croit-il bon de préciser, évidemment que c’est inouïe que d’entendre son enfant murmurer au creux de son cou noyé dans le chagrin que papa met son sexe dans sa bouche… Oui, une part de notre humanité se meurt à chaque fois que la vérité apparaît de manière si violente et crue ! 

La vérité c’est que le silence nous rend complice et coupable de la domination patriarcale car 98% des incesteurs sont des hommes⁣ tandis que nous avons tous déjà côtoyé au moins une fois dans notre vie, un incesteur. Un femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Selon les estimations, 40 150 enfants de moins de 18 ans sont victimes d’homicides et selon l’Unicef, 120 millions de filles de moins de 20 ans sont victimes dans le monde d’agressions sexuelles. Qu’est ce qui fait que ces chiffres existent encore ?

C’est bien la domination d’un pouvoir qui s’autorise de détruire ceux à qui elle fait croire qu’ils sont coupables dès lors qu’ils parlent. Si les agressions sexuelles brisent l’essence de notre humanité, le silence la rend irréparable.

Ne détournons pas le regard. N’abandonnons pas nos enfants. Accompagnons la parole de celles qui se mettent à nue. Obligeons les instances publiques à changer les règles du jeu dont les dés sont pipés pour plus de la moitié de l’humanité. Et si notre part d’humanité est irrécupérable, soyons salauds avec panache, tremblons pour notre porte-monnaie; le déni entourant les violences sexuelles sur les enfants coûte 9,7 milliards d’euros par an à l’ensemble de la société. 

Changeons !  

Rosemonde Pierre-Louis pour 20 minutes

Michel Sardou, Stéphane Plaza et l’humanité sont sur un bateau

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